Le droit de retrait à l’épreuve de la pandémie… et vice versa

Retrouvez l’interview d’Ilan Muntlak, Associé du Cabinet 41, sur le droit de retrait, dans L’Opinion

Les salariés peuvent cesser le travail s’ils se pensent en danger « grave et imminent ». Dans quelles conditions la pandémie actuelle peut-elle les mettre en situation d’actionner ce droit ?

Ils ont probablement été les premiers à l’utiliser : les 2 et 3 mars derniers, les salariés du Louvre ont fait jouer leur droit de retrait et cessé le travail, craignant d’être contaminés par le coronavirus sur leur lieu de travail. Ceux qui ne connaissaient pas l’article L4131-1 du Code du travail ont découvert qu’un salarié (du privé comme du public) ayant un « motif raisonnable » de penser qu’une situation de travail présente « un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé » « peut se retirer d’une telle situation ».

« Si les conditions sont réunies, cette absence doit être rémunérée, car il incombe à l’employeur une obligation de moyen renforcée en matière de santé et de sécurité du salarié  », précise Ilan Muntlak, avocat associé du cabinet 41-avocats.

Comment savoir si les conditions sont réunies ? « Le point essentiel, c’est que le droit de retrait s’exerce de manière individuelle et non collective, souligne Thierry Meillat, avocat associé au cabinet Hogan Lovells. C’est un droit subjectif, puisque c’est au salarié d’apprécier l’imminence et la gravité du danger. Et ce sont les prud’hommes qui tranchent en cas de litige. » Dans la fonction publique, c’est le tribunal administratif.

A ce stade, la justice n’a pas eu le temps de s’emparer de désaccords sur l’exercice du droit de retrait pour cause de pandémie. « On peut raisonner par analogie et se référer aux décisions prises sur la restriction d’activité imposée à certaines enseignes comme Amazon à cause de l’insuffisance des mesures de sécurité pour lutter contre le Covid-19. Elles vont dans le sens d’une interprétation très rigoureuse des obligations de l’employeur. On peut penser que la justice s’inspirerait des mêmes principes pour trancher en matière de droit de retrait. »

Avec les mêmes accommodements : si des mesures de protection préconisées par le gouvernement ont été prises et, mieux, si elles l’ont été après consultation des représentants du personnel, le droit individuel de retrait ne devrait pas pouvoir s’appliquer.

Sanction. Le salarié qui ferait valoir ce droit à tort risque quelques désagréments. D’abord, ne pas être payé pour n’avoir pas travaillé. Ensuite, dans des cas extrêmes, la sanction peut aller jusqu’au licenciement. Dans la fonction publique aussi, la première sanction est la perte de rémunération. On passe ensuite à la procédure disciplinaire, du blâme au licenciement. Mais la justice applique deux principes du droit : la proportionnalité et la prise en compte du contexte.

Dans ces cas qui n’ont rien à voir avec une épidémie, le Conseil d’Etat, juge suprême des tribunaux administratifs, s’est montré plutôt restrictif. Ainsi, en juin 2014, il a décidé que le délabrement de leur salle de classe crée des conditions de travail inacceptables pour les enseignants concernés, mais ne fait pas apparaître de danger caractérisé et imminent pour leur vie. En juin 2010, il tranche en faveur de la reprise du travail après des violences dans un lycée, sans attendre une notification des mesures prises pour faire cesser ce danger.

Si certains syndicats incitent leurs adhérents à actionner ce droit, d’autres misent sur la modération. « Dans l’éducation, , affirme Luc Farré, secrétaire général de l’Unsa fonction publique, nous prenons des dispositions pour que les enseignants fassent d’abord jouer leur droit d’alerte » – également prévu par le Code du travail, il est le stade antérieur au droit de retrait. « Et surtout, en amont, nous insistons pour que toutes les mesures de sécurité soient discutées au sein du comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). »

https://www.lopinion.fr/edition/economie/droit-retrait-a-l-epreuve-pandemie-vice-versa-217077

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