Télétravail : quand les entreprises sucrent les chèques-déjeuners des salariés

Télétravail : quand les entreprises sucrent les chèques-déjeuners des salariés

Ilan Muntlak et Laura Grosset ont lancé des assignations devant les Tribunaux judiciaires de Paris et Nanterre au profit des Élus de Schlumberger et Malakoff Humanis afin d’obtenir la régularisation de cette situation

Depuis le Covid et les restrictions sanitaires, les Français sont sommés de travailler à la maison. Une situation dont certaines entreprises profitent pour sucrer les avantages sociaux de leurs salariés, tickets-restaurants en première ligne.

Boulot mais plus de métro, ni de tickets resto. Mercredi 3 février, les syndicats Unsa et Sud de SFR (groupe Altice) ont envoyé un communiqué auprès de l’AFP (Agence France Presse) pour dénoncer leur direction. Principal grief : l’entreprise profiterait de la crise sanitaire pour remettre en cause les droits des salariés.

« Tous les salariés sont en télétravail (10.000 en France) sauf ceux dédiés à la supervision ou d’astreinte; beaucoup le subissent et sont en souffrance faute de conditions adéquates que la direction leur refuse » a expliqué Abdelkader Choukrane, délégué central Unsa (majoritaire) de l’Unité Économique et Sociale (UES) de SFR, selon les propos rapportés par l’agence de presse.

Abolition des tickets-restos

Entre le refus de la prise en charge des frais comme les factures d’électricité ou le prêt de matériel, le principal point de crispation repose sur la fin de l’octroi des tickets-restaurants aux salariés travaillent sont chez eux. Une situation qui a poussé la CFDT à assigner la direction en justice dès juin 2020. La date de l’audience n’a pas encore été fixée.https://cbc94c9e7359257a98ff0fc15d9b328a.safeframe.googlesyndication.com/safeframe/1-0-37/html/container.html

Interrogé par Le Parisien, Abdelkader Choukrane déplore la suppression d’un « petit complément de revenu non négligeable de l’ordre de 100 euros par mois ». Xavier Courtillat, délégué syndical central CFDT, premier syndicat représentatif, accuse SFR de « faire des économies sur le dos des salariés ».

Pour la direction, la question ne se pose pas. Selon nos confrères, un dirigeant affirme que cet arrêt se justifie « par le fait que les salariés en télétravail auraient désormais « du temps libre » pour se préparer à manger ». Le délégué CFDT évoque un « accord sur le télétravail signé dans l’entreprise en 2018. À l’époque, la direction avait imposé aux salariés choisissant de faire une journée de télétravail par semaine de renoncer ce jour-là à leur chèque-déjeuner. Mais il s’agissait d’un jour par semaine et c’était sur la base du volontariat, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui ».

Un cas non isolé

D’autres entreprises empruntent le même chemin. C’est le cas de Schlumberger Limiter et de son millier de salariés dans l’hexagone, multinationale d’origine française spécialisée dans les services et équipements pétroliers. Dans un billet publié le 17 novembre 2020 sur Linkedin, Jean-François Jegou délégué syndical de l’UNSA (minoritaire), expliquait que la « direction Services Pétroliers Schlumberger a pris la décision de ne plus donner de tickets-restaurants aux salariés en télétravail ».

Un choix motivé par une jurisprudence du 13 janvier 1999 affirmant « lorsqu’un salarié travaille depuis chez lui, il ne peut prétendre ni au remboursement sur les titres de transport ni aux tickets-restaurants ». Contacté par Marianne, le syndicaliste affirme qu’en réalité « ils ont fait ça pour économiser de l’argent, ça a été dit en réunion ». « Nous avons discuté avec la direction pendant six mois, expliqué qu’ils n’appliquaient pas la loi, on leur a même sorti les textes de Muriel Pénicaud qui rappelle l’obligation des tickets-restaurants, même en télétravail » peste le délégué UNSA.

Face à une discussion stérile, le syndicat a saisi la justice. « L’audience aux prud’hommes a eu lieu le 3 février, le délibéré est attendu pour le 30 mars 2021 » glisse Ilan Muntlak, avocat en charge du dossier. « Pour la direction, les salariés ont une cuisine chez eux donc ils n’ont plus besoin des tickets, mais télétravail n’est pas forcément synonyme de travail dans une maison » assure-t-il. Autre argument : « Le Code du travail stipule clairement que les salariés en télétravail doivent avoir les mêmes droits que ceux sur site ».

Prud’hommes

Autre cas : l’entreprise Malakoff Humanis qui propose des contrats de complémentaire santé et de prévoyance et compte près de 12.000 employés. Elle était assignée le 5 janvier dernier pour le même motif. « La direction a refusé de donner gain de cause à un salarié expliquant que l’entreprise ne pouvait distinguer les différents lieux de travail » raconte Laura Grosset, avocate dans ce dossier. Sont concernées les « 11 entreprises de l’UES Humanis. Le délibéré est attendu pour le début du mois de mars ». Contactée par Marianne, l’entreprise n’a pas souhaité « commenter une affaire en cours  .

Les salariés ne peuvent pas tous compter sur des syndicats offensifs. Exemple chez Elex, filiale du groupe ADENES spécialisé dans l’expertise immobilière après sinistre. Sous couvert d’anonymat, un salarié explique à Marianne : « À cause du Covid, on nous a envoyé une charte à signer indiquant que nous n’aurions plus de tickets-restaurants ».

La charte, que Marianne a pu consulter, pose cette règle depuis le 16 mars 2020 et court jusqu’au 15 mars 2021. On y lit que « l’attribution de Titre Déjeuner dans le cadre du télétravail n’est pas faite ». Une décision justifiée par « un critère objectif éloignement lieu de travail – domicile n’entraînant ainsi pas de discrimination, défini par l’employeur unilatéralement et établissant une tarification à zéro si le lieu de travail est le domicile ». Sur son site, le groupe ADENES mentionne plus de 2.000 collaborateurs. Avec des chèques-déjeuners allant de 7,50 à 8 euros, dont la moitié est prise en charge par l’entreprise, cette dernière réaliserait plus de 100.000 euros mensuels d’économie.

Pour Florence Magliola, directrice des ressources humaines du groupe, « on parle d’un accord de télétravail signé avec les salariés en 2017 qui dit que les professionnels ne bénéficient pas des titres déjeuners, en raison de l’éloignement ». Aucun lien avec la crise sanitaire, simplement la prolongation de ce qui existait déjà. Quant à la charte envoyée aux salariés « elle a été validée par le Comité Sociale et Économique, tout s’est passé en ordre de marche ».

Mais tous les salariés ne l’entendent pas de cette oreille. Cette affaire de chèques-déjeuners accentue des tensions sociales plus profondes au sein de l’entreprise et plusieurs salariés, selon nos informations, étudient la possibilité d’un recours en justice.

https://www.marianne.net/economie/entreprises/quand-les-entreprises-sucrent-les-cheques-dejeuners-des-teletravailleurs

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