L’utilisation des réseaux sociaux par les salariés : droits et dangers

Qu’ils pratiquent le télétravail ou soient, comme près de 9 millions d’entre eux en situation de chômage partiel, les salariés sont aujourd’hui très largement confinés à leur domicile.

L’une des conséquences notables de ce confinement est l’explosion de l’utilisation des réseaux sociaux, qui aurait augmenté de 61% durant cette période selon les premières études.

L’occasion pour nous de faire un point sur les droits des salariés sur ces réseaux, mais également sur les dangers qui peuvent en découler.

En principe, un fait relevant de la vie privée, tel l’usage des réseaux sociaux, ne peut pas être sanctionné par l’employeur.

En effet, l’employeur n’a pas à s’immiscer dans la vie privée du salarié et ce dernier est donc libre de s’exprimer comme il le souhaite à cette occasion.

Quelques exceptions existent toutefois qui permettent à l’employeur de sanctionner ou licencier un salarié sur la base de fait relevant de sa vie privée :

  • D’une part, lorsque ce dernier viole ses obligations contractuelles, et notamment le principe de loyauté inhérent à tout contrat de travail ;
  • D’autre part, lorsque, par ses actes, le salarié cause un trouble objectif à l’entreprise.

Le contrat de travail, l’obligation de loyauté et la liberté d’expression sur les réseaux sociaux

La difficulté s’agissant des réseaux sociaux est la porosité entre ce qui relève de l’espace public et ce qui relève de l’espace privé.

En effet, dénigrer publiquement son employeur constitue un fait fautif et sanctionnable dès lors qu’il caractérise une violation par le salarié de son obligation de loyauté.

Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que le salarié ne jouit pas de sa liberté d’expression et se trouve dans l’incapacité total de critiquer son employeur en dehors de son temps de travail.

Les salariés sont parfaitement libres d’exprimer et d’évoquer leur ressenti sur leur employeur, y compris de manière péjorative, avec des proches et connaissances et donc dans un cercle privé.

Ainsi, l’un des éléments déterminants pour savoir si les propos tenus par un salarié en dehors du lieu et du temps de travail sont fautifs ou non, réside dans leur caractère privé ou public.

Les propos tenus sur les réseaux sociaux sont-ils publics ou privés ?

Évidemment, cela dépend. Cela dépend du réseau social utilisé tout autant que des paramètres de fonctionnement de ces réseaux qui ont été activés par le salarié.

Les magistrats adoptent à ce titre une approche très individualisée des litiges qui leurs sont soumis.

Ils ont ainsi rappelé, s’agissant de Facebook, que « ce réseau peut constituer soit un espace privé, soit un espace public, en fonction des paramétrages effectués par son utilisateur » (CA Rouen, 15 novembre 2011, n°11-01830).

De même la Cour de Cassation a suivi un raisonnement similaire après qu’une salariée ait évoqué l’ « extermination des directrices chieuses », ou inviter à éliminer « nos patrons et surtout nos patronnes (mal baisées) qui nous pourrissent la vie », en précisant que les propos litigieux n’étant accessibles qu’aux « seules personnes agréées par l’intéressée, en nombre très restreint », celles-ci forment une « communauté d’intérêts », et les injures proférées ne peuvent donc constituer des injures publiques (Cass. Civ. 1ère, 10 avril 2013, n°11-19530).

Plus récemment, elle indiquait de nouveau que : « les propos litigieux avaient été diffusés sur le compte ouvert par la salariée sur le site Facebook et qu’ils n’avaient été accessibles qu’à des personnes agréées par cette dernière et peu nombreuses (…) de sorte qu’ils relevaient d’une conversation de nature privée » et ne pouvaient donc servir de fondement à un licenciement (Cass. Soc, 12 septembre 2018, n°16-20516).

La Cour d’appel de Besançon a quant à elle pu valider un licenciement en raison de propos péjoratifs tenus sur un mur Facebook car ce dernier était accessible non pas aux seuls amis du salariés mais étaient également ouvert aux amis d’amis (CA Besançon, 15 novembre 2011, n°10-02642).

La limite est donc principalement l’accessibilité et la visibilité du message litigieux. Sur ce point, il doit être souligné que c’est à l’employeur de démontrer que les messages ou propos litigieux dépassaient une audience raisonnable.

Ainsi, les salariés qui seraient amenés à évoquer leur employeur sur les réseaux sociaux doivent prendre garde au contenu de leurs propos mais également s’assurer d’avoir activer les critères de confidentialité adéquats.

A toutes fins utiles, on rappellera que la déloyauté d’un salarié peut se matérialiser autrement que par un dénigrement de l’employeur. Sur ce point, l’on rappellera que le licenciement du salarié qui évoquait ses vacances sur les réseaux alors qu’il avait déclaré un arrêt maladie a été validé (CA Amiens, 21 mai 2013, n°12-01638).

Des actes de la vie personnelle peuvent ils se rattacher à la vie professionnelle et caractériser un manquement contractuel permettant une sanction ?

Oui, certains actes du salarié relevant de sa vie personnelle peuvent se rattacher à la vie professionnelle et autoriser des sanctions disciplinaires.

Il en va ainsi par exemple du fait pour un salarié d’avoir tenu des propos à caractère sexuel à deux collègues femmes lors de l’envoi de messages électroniques hors du temps et du lieu de travail, sur MSN ou lors de soirées organisés après le travail (Cass. Soc, 19 octobre 2011, n°09-72672).

Les réseaux sociaux et le trouble objectif causé à l’entreprise

Un salarié victime d’un « bad-buzz » sur les réseaux sociaux peut-il être sanctionné ?

On peut ici penser à l’épisode du « Slip français » au terme duquel l’entreprise avait été vivement interpellée par les Internautes car certains de ses salariés avaient été reconnus après la diffusion sur un compte Instagram intitulé « Mais non ce n’est pas raciste » dans une soirée privée vêtue d’un boubou et arborant une « black face » ou déguisé en singe et dansant sur la musique de « Saga Africa ».

Le hashtag « #BoycottLeSlipFrançais » commençant à apparaitre sur certains réseaux sociaux, l’employeur a considéré que la diffusion massive et virale de la vidéo portait atteinte à sa réputation et a annoncé qu’en conséquence il entendait « sanctionner fermement les deux salariés concernés ».

Cette annonce était toutefois vaine dès lors que l’employeur ne peut prononcer une sanction disciplinaire pour des faits relevant de la vie privée, et ce même si cela a créé un trouble objectif dans l’entreprise.

C’est en effet ce qu’a rappelé la Cour de Cassation dans un arrêt célèbre du 18 mai 2007 (n°05-40803).

Dans ce cas d’espèce, le salarié avait reçu, sous enveloppe une revue destinée aux couples échangistes qui, après avoir été ouverte par le service courrier avait été déposée au standard en évidence et avait causé un trouble au sein de la communauté de travail qui s’offusquait de voir une telle revue dans un lieu accessible à tous.

Si le principe d’une sanction disciplinaire doit être écarté, qu’en est-il d’un licenciement non disciplinaire fondé sur le trouble objectif caractérisé au sein de l’entreprise ?

La Cour de Cassation a admis cette possibilité lorsque le comportement d’un salarié, bien que tiré de sa vie privée, a causé un « trouble caractérisé » au sein de l’entreprise (Cass. Soc, 16 septembre 2009, n°08-41837).

Par exemple, la Haute Juridiction a reconnu que le fait pour un directeur de centre d’hébergement de personnes protégées, d’avoir été mis en examen pout attentat à la pudeur sur mineur, ce qui a jeté le discrédit sur l’établissement qu’il dirigeait pouvait justifier son licenciement (Cass. Soc, 21 mai 2002, n°00-41128).

Pour autant un tel motif de licenciement est particulièrement délicat à retenir et les juges se montrent particulièrement vigilants afin de préserver la vie personnelle des salariés (Cass. Soc, 16 décembre 1998, n°96-43540 ; Cass. Soc, 22 janvier 1992, n°90-42517).

Le trouble est alors apprécié en fonction de la nature du poste occupé par le salarié, de l’activité et la renommée de l’entreprise ainsi que des impacts des agissements du salarié au sein et en dehors de l’entreprise (réputation de l’entreprise, ambiance de travail, etc.). La charge de la preuve du trouble pèse sur l’employeur.

Ainsi, si le licenciement non disciplinaire semble être une possibilité en cas d’abus sur les réseaux sociaux lorsque l’entreprise est impacté négativement, il reste toutefois une voie très étroite pour l’employeur qui ne pourra pas, dans l’extrême majorité des cas, vous reprochez vos originalités numériques.

Vous pouvez donc continuer à chanter sur TikTok sans craindre pour votre emploi.

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